Que ça soit avec du pagne tissé, de la soie, du lin ou tout juste du coton, So Fatoo nous fait tomber sous le charme des modèles de tenues africaines. Créatrice de styles, Fatima Zahra Ba, cette jeune Sénégalaise, est en train d’imposer une nouvelle vision de ce qu’est s’habiller “Made in Africa” tout en restant tendance.
C’est à 18 ans, alors étudiante en licence de droit public que Fatima a décidé de commencer à exploiter sa passion pour la mode. La marque So’ Fatoo est née et trois ans plus tard, un master en relations internationales en poche, l’entreprise a formellement vu le jour. De retour à Dakar depuis 2016, elle se consacre entièrement à sa gestion et à son dèveloppement.
La mode et les études en droit, c’est un parcours atypique que vous avez -là !
Très atypique, c’est vrai. Le projet de base c’était d’avoir ce master, faire l’ENA ou poursuivre jusqu’au Doctorat, devenir diplomate et pourquoi pas professeur dans une université. Mais la mode a supplanté le droit. Après il faut dire qu’elle était là la première. Entre elle et moi c’est une longue histoire qui prend ses racines dans l’environnement dans lequel j’ai baigné durant mon enfance. En réalité, dans mon entourage, j’avais déjà une certaine accoutumance avec l’univers de la mode Africaine. Avec une grand-mère qui faisait des pagnes tissées, et qui en fait toujours d’ailleurs, des Badiène teinturières et couturière, une tante qui a été mannequin grande taille et beaucoup de petites “Mame” férues de mode. Déjà, dès mon jeune âge, j’avais pris l’habitude de découper tous les tissus qu’on voulait bien me laisser gâcher et faire avec un fil et une aiguille des robes pour mes poupées et moi. Plus tard pendant mon adolescence je profitais des fêtes de Korité et de Tabaski pour dessiner des modèles que les tailleurs ne me faisaient jamais comme je voulais et j’en pleurais à n’en plus en finir. C’est à Meknes, au Maroc ou je suis partie pour mes études supérieures que j’ai rencontré une dame, Maria qui arrivait à me faire exactement ce que j’avais en tête. Le résultat plaisait et me valait beaucoup de compliments. Au cours de l’année 2012, plus précisément en un soir de 24 Avril, j’ai décidé que j’allais lancer ma propre marque le 05 mai, le jour de l’anniversaire de ma grande mère.
“So Fatoo”, c’est assez original, d’où vous est venue l’inspiration de ce nom ?
Fatou Sow, c’est ma grand-mère, mon homonyme, ma muse, mon tout. Une personne très spéciale pour moi, que Dieu lui prête longue vie! Mais, le nom dépasse largement mes considérations personnelles. En Afrique de l’ouest “Fatou” est un nom que portent beaucoup de femmes. Malheureusement on lui a affecté une connotation négative et je soupçonne ce triste fait d’avoir pris ses sources dans l’époque coloniale. À travers le nom Fatou on voit la femme de ménage, la femme partie travailler à l’étranger qu’on appelle “Fatou Fatou”, cette dame au coin de la rue qui s’attelle à vendre du tout et du rien ou qui tresse pour un maigre salaire dans les salons de coiffure. En gros, la servitude, qui occulte la bravoure et de la dévotion envers leurs familles qui les caractérisent toutes. “So Fatoo” est un moyen de rendre un hommage à toutes ces femmes qui n’ont pas peur d’entreprendre, à cette force qui est en elles, à leur élégance en dépit de tout et à tout ce qu’elles ont et font de bien.
“So Fatoo” aujourd’hui c’est un style de vie qui fait rêver, un design unique en son genre, quelle est votre source d’inspiration ?
Une question que j’entends souvent est “comment je fais pour assimiler toutes mes tâches avec les exigences de la création”. Là, il n’y a pas grand secret, je dirais que c’est la partie la plus facile en fait. Mes designs sont généralement assez simples, avec des coupes nettes et tendance, quelques petits détails. J’aime me baser sur pas mal de choses pour faire de nouveaux modèles mais en réalité, ce qui m’inspire vraiment ce sont les tissus. La culture est également un moteur de créativité non négligeable. Faut dire que traditionnellement en Afrique , les tissus ont une dimension culturelle. Ils témoignent d’une appartenance, tout comme les coupes. Mes tenues se trouvent souvent aux confluents du traditionnel et du moderne et en faisant de nouvelles choses, j’essaye de relater l’histoire, de participer à la création d’une culture nouvelle oú l’héritage ancestral ne se perd pas dans l’ouverture à la modernité. C’est là le cas de ma toute dernière collection “Laamu”. Le terme signifie Royauté en langue Pulaar et chaque tenue représente un Roi ou une Reine d’Afrique à l’ère actuelle.
De même, j’aime beaucoup partir de la couleur lors de la conception d’une collection et si vous regardez bien, elles ont tendance à afficher une dominance de certaines couleurs qui transparaiît mêmes dans les titres : Burgundy Is The New Black, 50 shades of blue, Pink is the new chic … Les détails ont tout de même leur importance. Masques, symboles, écritures: je m’inspire de toutes ces choses d’ici et d’ailleurs, des techniques de partout et même des rencontres que je fais.
Quel constat entre le marché de la mode Africaine et le consommer local faites vous en tant qu’actrice de ce marché “So Fatoo” ??
Voilà une question qui me tient beaucoup à coeur, le consommer local. Il faut le dire, chez nous en Afrique s’est produit une sorte d’extraversion post-coloniale dans nos habitudes de consommation et ce en tout. Nous n’aimons pas ce qui se fait chez nous, nous pensons toujours que ce qui est fait ailleurs est meilleur. Les vêtements, la nourriture, les soins médicaux, les écoles, la musique, la vie tout court. Un constat empli de dommage qui heureusement tend à changer. Je déplore le fait que l’impulsion soit également venue de l’étranger, qu’il nous ait fallu attendre que les occidentaux s’intéressent à nos richesses culturelles pour nous mêmes commencer à y croire en masse. La bonne nouvelle c’est que la tendance est là, à nous d’en profiter. Elle se ressent fortement dans le domaine vestimentaire et dans celui de la cosmétique et gagne chaque jour du terrain. L’erreur commise dès le départ toutefois et que j’essaye de rectifier dans mon travail, a été de baser ce retour vestimentaire aux sources sur le wax, le bazin et dans une moindre mesure, le “brodé” qui sont paradoxalement produits en Hollande, en Allemagne et en Autriche. Nous devons imposer les coupes mais aussi les tissus de chez nous comme le pagne tissé, le bogolan, le lépi et le Kente qui rivalisent de beauté et regorgent de trésors culturels. Nous devons y croire et prendre conscience que chez nous la main d’oeuvre fournit sur le marché des produits de bonne qualité à moindre coût. Je trouve que tout est bien fait ici, tout est mieux ici, suffit d’essayer et de se débarasser de cette aliénation culturelle en faveur de ce qui est fait ailleurs. J’invite tous les africains à non seulement supporter le consommer-local et mieux à devenir eux mêmes ses ambassadeurs et pourquoi pas, des producteurs de biens locaux.
Que faudrait-il mettre en place pour valoriser toutes ces belles créations 100% African fashion et dynamiser davantage ce marché ?
Ce qu’il faut d’abord comprendre c’est que l’Afrique est aujourd’hui au centre de toutes les attentions et notre mode inspire les plus grands stylistes du monde. Pour preuve, lors de la New York Fashion Week, le défilé de Marc Jacobs a fait sensation avec une cinquantaine de mannequins en tenues surdimensionnées arborant toutes des headwraps, ce que nous appelons en wolof Moussor. Pour vous dire que ce nous faisons ne manque pas d’attirer une grande attention. Il y a pas mal d’événements très intéressants qui sont organisés. Je salue au passage la Dakar Fashion Week de Adama Paris qui vient de fêter ses quinze ans. Mais le souci est que ce n’est pas assez car c’est un marché large avec de nombreux acteurs très doués qui n’ont malheureusement pas les moyens de faire connaître leur travail et de développer leur activité. Il faudrait beaucoup plus d’initiatives comme la multiplication des foires, la création de centres commerciaux où l’on ne vendrait que des produits purement de chez nous. Ce qu’il nous faudrait c’est de pouvoir donner autant aux stylistes professionnels qu’aux artisans tailleurs la possibilité de se faire voir et valoir sur ce marché mais au préalable instaurer un mécanisme solide de régulation derrière pour pouvoir bien le gérer. Il faudrait par exemple se concerter autour de saisons africaines de la mode qui ne peuvent logiquement pas être calquées sur celles europèennes pour des raisons climatiques évidentes. Créer un système de tailles sensibles à nos réalités serait également une mesure très utile. Pour terminer cette question il y a une chose qui en Afrique fait vraiment défaut aux acteurs de la mode et c’est l’accès à la publicité. Son coût élevé, ne permet pas à tous les acteurs de pouvoir bien se positionner sur le marché. Seuls les plus nantis peuvent se permettre de tels frais ce qui condamne le reste à l’anonymat. Par chance, internet est gratuit ou presque même. Il est toutefois dommage que la majorité des artisans par défaut d’instruction ne puisse pas pleinement en profiter. J’appelle donc le gouvernement par le biais du ministère de la formation professionnelle à mettre en place des programmes gratuits et très médiatisés pour apprendre aux artisans confirmés comment en tirer pleinement profit.